La Maison Tellier : « le Chabada est une des salles les plus incroyables de France »
Culture

La Maison Tellier : « le Chabada est une des salles les plus incroyables de France »

La Maison Tellier revient en concert à Angers ce mardi 14 mai avec un 6ème album de 11 titres (voir un peu plus…) et 15 ans de carrière. Leur nouvel album baptisé « Primitifs Modernes » nous fait naviguer dans le temps, observer le monde, avec une poésie et une énergie vitale implacable.

La Maison Tellier

Comment décrivez-vous ce 6ème album ?

Helmut Tellier : « Un son vraiment soyeux, caressant, on est sur quelque chose de plus primitif. C’est une des raisons qui explique le titre de l’album. »

Vous pensiez avoir fait le tour du côté folk qui était assez caractéristique de votre musique ?

« On est rentrés dans l’écriture des chansons par le biais de la folk car c’était une référence commune avec Raoul lorsque nous avons créé le groupe. C’est en quelque sorte ce qui a permis de mettre le pied à l’étrier. Bien sûr c’est une musique qu’on adore, maintenant on évolue. On avait fait le tour pour ce qui était de mélanger cette musique là avec des textes en français. On s’est peut-être moins mis une charte de bonne conduite sur cet album. »

Vous avez aussi peut être fait vos preuves, on peut dire que vous êtes plus libres aujourd’hui ?

« Oui et il y a aussi quelque chose de problématique. Pour être entendu et a peu près visible, il faut pouvoir répondre à des questions basiques comme : « quel style de musique faites-vous » ? Dans un premier temps c’est pas forcément à nous de le dire. C’est pratique pour tout le monde de dire « ce groupe là c’est un groupe qui fait du folk en français ». »

C’est un album plus mélodique, avec des sonorités plus blues également. Le morceau qui porte le nom de l’album « Primitifs modernes » est assez intéressant car il est rétro-moderne-pop-rock et … électro. Vous vouliez vraiment marquer le changement dès le 1er titre ?

« On est obligés de forcer le trait. On était pas tous d’accord à l’intérieur du groupe parce qu’il a un côté presque « kitsch » mais qui marche avec les tenues que l’on a derrière la pochette. Ce n’est pas non plus du second degré ni du cynisme, c’est un espèce de monde qu’on a voulu fabriquer, le temps d’un album, qui serait une vision passée du futur en quelque sorte. Un espèce de futur antérieur, de futur imparfait… Ce morceau là est presque « too much », c’est presque du « Take on me » de A-ha ou un morceau des Gun’s, c’était pour forcer le trait. Une façon de dire aux gens « bon on a voulu évoluer, faut pas nous en vouloir ». C’est sûr qu’il se démarque complètement du reste de l’album. »

Vous diriez que cet album est plus doux ?

« Je ne le ressens pas forcément comme ça mais il s’agit vraiment d’une question de ressenti et c’est ce qui est intéressant dans ce métier : une personne va avoir ce ressenti et une autre non. Moi je trouvais l’album d’avant soyeux dans la production, dans le son. Celui-ci je le trouve plus doux dans les textes. »

Comment s’est passé l’enregistrement ? Vous n’avez pas enregistré piste par piste comme d’habitude mais plutôt en condition réel, qu’est-ce que ça change ?

« Ça nous oblige à travailler les morceaux avant de rentrer en studio. Ça peut paraître bête mais les groupes ne bossent plus comme ça. Maintenant la batterie puis la basse sont réalisées au clic… Nous avons voulu une direction particulière, c’était une sorte de petit défi arrivé au 6e album, après quinze ans d’existence. On s’est dit qu’on devrait arriver à jouer ensemble suffisamment correctement pour arriver à le graver et le mettre sur un disque (rires). C’est un cadre qu’on s’est imposé, une forme de contrainte choisie mais stimulante. »

C’est peut-être ça qui donne ce côté instinctif ?

« Oui il y a une homogénéité des morceaux. On s’est mis dans un premier studio pour se faire saigner les doigts sur ces morceaux là. On a fait plusieurs versions de chaque morceau mais à chaque fois chacun était impliqué. »

Un travail collectif, collégial…

« C’est tout l’intérêt d’être un groupe sinon ça n’a pas vraiment de sens, ou alors on est un chanteur qui embauche des musiciens. Nous on essaye d’aller au-delà de ça, de garder un esprit collectif au maximum dans un monde qui s’individualise à vitesse forcenée. Donc c’est important pour moi et pour nous. »

La pochette de l’album avec la télé, la main qui dit stop, stop à quoi ?

« C’est peut-être une main tendue, une mise en garde… C’est surtout une référence aux mains de l’art pariétal qu’on a trouvé dans les cavernes faites par des sapiences il y a des dizaines de milliers d’années. Il y avait ça aussi dans le choix du titre. On est finalement physiologiquement toujours pareil, même nos cerceaux sont les mêmes que ceux des sapiences sauf qu’on nous a mis des technologies entre les mains qui nous dépassent largement, qui sont fascinantes, enthousiasmantes et effrayantes. Le but n’est pas de juger ou de dire « c’était mieux avant ». Le but était de prendre une photographie de ce monde là, de quelques êtres qui s’y débattent. C’était ça le choix sur cet album. La télé symbolise les années de mon adolescence avant les écrans plats, cette télé un peu ringarde. Il y a une référence aux séries Z type « Poltergeist ». La fascination pour la lumière, pour les écrans… Quand notre graphiste nous a proposé ce visuel on s’est dit que ça marchait bien. »

Ce qui est assez paradoxale c’est que plus on a de la technologie entre les mains et moins on sait faire de choses, plus on devient…primitif.

« Complètement… On constate des comportements primitifs. Des choses qu’on fait en public comme consulter nerveusement un objet, comme ça, comme si c’était notre doudou de quand on avait 4 ans, c’est des choses que les hommes ne faisaient pas avant. Lorsqu’on fait un petit pas de côté pour s’observer soi même et ses congénères, c’est quelque chose qui rend très perplexe. »

Il y a ça dans l’album aussi, une posture d’observation. On est à la lisière de la fin d’un monde. Maintenant que fait-on ? Comment on va de l’avant ? Quelles solutions on peut mettre en place… ?

« Oui, parce que c’est une question qu’on se pose tous j’imagine. C’est compliqué de se dire « ça va aller de mieux en mieux ». Bien sur que les choses vont aller de mieux en mieux mais il y a des sujets de préoccupations. C’est un monde relativement anxiogène. Mon but ce n’était pas de faire un disque anxiogène, c’était de porter mes problématiques qui sont les mêmes que mes contemporains. Je ne suis pas différent mais j’ai ce truc de me dire « je vais poser une caméra là, quel angle je choisis pour telle chanson ? » et puis de le décrire sans que ça soit polémique, sans que ça soit du jugement, sans que ça soit militant mais juste décrire la façon qui nous entoure. C’est ce que j’essaie de faire dans mes textes.

Une espèce de journalisme poétique ?

« Oui, ce n’est pas réfléchi, ce n’est pas théorisé, ce n’est pas conscient, c’est ça que j’ai envie d’écrire. L’album précédent était très auto-centré. Je partais de moi pour aller vers l’extérieur tandis que là j’ai fait une démarche un peu inverse. Dans une chanson comme « Chinatown », je pense que je décris les choses que tout le monde a connu dans une vie : des moments de joies dans un couple, des moments plus difficiles, des rencontres, des séparations… Je trouvais ça intéressant de partir de mes expériences personnelles pour arriver à quelque chose d’un peu plus universel. »

A quel moment l’écriture arrive dans votre manière de travailler avec la musique ?

« Clairement, les textes arrivent plus lentement que les musiques. C’est naturel, d’autant que nous sommes deux à écrire la musique. On fait notre marché dans les compos qu’on maquette, j’essaie ensuite de faire venir des textes là dessus, voir ce que ces musiques m’évoquent comme images, d’essayer de plaquer des mots que je peux déjà avoir. On part de ça et on déroule le fil. Des fois ça marche des fois non. On a fait beaucoup de brouillons pour cet album. »

Avez-vous d’autres projets de collaboration ? Vous avez un univers qui va de la littérature au cinéma, à la musique de film…

« On a fait une musique pour une pièce de théâtre d’une auteure qui s’appelle Frédérique Keddari qui devrait partir bientôt en tournée. Après c’est des occasions, des circonstances qui se créent autour de la tournée. On est à l’affût de tout de ce qui vient mais d’expérience je sais que ça se fait beaucoup en fonction des envies, des moments, des emplois du temps et que ça ne sert presque à rien d’imaginer à l’avance, les choses se font presque par hasard. Tout ce qui viendra et qui nous semblera intéressant sera bon à prendre. »

Vous avez déjà joué au Chabada. Quels souvenirs vous en avez ?

« Sans flagornerie, c’est une des salles les plus incroyables de France. On a fait notre première résidence là bas au moment de « L’art de la fugue ». C’était au Chabada qu’on a fait notre professionnalisation en tant que musiciens. On s’est dit « peut-être qu’il se passe un vrai truc avec ce groupe ». C’est la première fois qu’on découvrait le fait de créer une équipe pour la tournée avec des techniciens, c’était très existant. On a dû y retourner à deux reprises et à chaque fois c’était comme si on jouait dans notre ville d’origine. L’équipe qui gère ce lieu aime sincèrement la musique, les artistes. On aurait été franchement déçus de ne pas y jouer sur cette tournée. Sur la dernière tournée, l’Anjou c’est là où on a le plus joué et à chaque fois il y avait beaucoup de monde ! De fait, sans savoir pourquoi, on a un lien assez spécial avec ce territoire. »

Mardi 14 mai à 20h30
Première partie par Ryder the Eagle

Le Chabada
56 boulevard du Doyenné
De 13 à 20 euros
Réservations sur le site du Chabada ou dans les points de vente habituels.

Par Emmanuel M.