Canicules, gel, pluies abondantes… Les viticulteurs d’Anjou font face à de nombreux bouleversements climatiques. Etienne Neethling, enseignant-chercheur à l’Ecole Supérieure des Agricultures, décrypte les adaptations actuelles et à venir de la viticulture.
Avec ses 20 000 hectares de vignoble et ses 27 appellations, l’Anjou est la troisième région viticole de France. Par son climat doux et pluvieux en hiver, ensoleillé et sec l’été, la région regroupe des conditions naturelles favorables à la viticulture.
Entre enjeux économiques et changements climatiques, les viticulteurs font face à des bouleversements dans leurs pratiques. Comment s’adaptent-ils à ces mutations ? C’est ce que nous explique Etienne Neethling, enseignant-chercheur en viticulture et œnologie à l’École Supérieure des Agricultures (ESA).
Est-ce que le changement climatique se fait déjà ressentir en Anjou ?
Etienne Neethling : « Oui, on remarque déjà les effets sur les terres cultivées. Si on compare les données des températures des années 50-60 à celles d’aujourd’hui, on remarque que l’on est passé d’un climat historiquement frais à un climat tempéré, voire tempéré chaud. L’Anjou a aujourd’hui le climat historique de Bordeaux.
Ces températures en hausse, associées aux précipitations, augmentent les sécheresses agricoles, c’est-à-dire qu’il y a davantage d’évaporation de l’eau par le sol et la plante.
Un autre impact qui n’est pas des moindres, c’est le gel du printemps. La vigne démarre de plus en plus tôt son cycle, ce qui explique pourquoi elle est plus vulnérable au gel du printemps qu’avant et qui peut causer des pertes dommageables pour les vignerons ».
Quels sont les principaux défis auxquels les vignerons doivent faire face aujourd’hui ?
« La problématique principale est la notion de pérennité. La vigne appartient généralement à deux générations de viticulteurs, car on la plante pour 60 ou 80 ans.
Il y a donc une incertitude à cause de la vitesse du changement climatique, car il faut réfléchir à comment planter une parcelle en 2024, alors qu’on sait que le climat sera très différent dans 20, 30 ou 50 ans. Et pour la vigne c’est une réalité cruciale, car on ne peut pas replanter toutes les deux décennies, cela couterait trop cher.
Le changement climatique est une réalité. Il y a vingt ans, ces épisodes étaient exceptionnels, nous avions une ou deux années sèches par décennie, alors que maintenant c’est presque tous les deux ans.
Que ce soit par les données scientifiques ou par la perception des vignerons, le changement climatique fait partie des enjeux majeurs actuels pour les filières viticoles ».
Quelle stratégie mettre en œuvre pour s’adapter à ces changements ?
« Nous réfléchissons à ce que l’on peut faire avec les mêmes moyens économiques. Aujourd’hui, l’adaptation a un certain coût. Mettre en place une vigne ou une parcelle résiliente, quel que soit le climat de demain, demande d’augmenter les coûts de production. Si on les augmente, comment valoriser le produit auprès d’un consommateur qui n’est peut-être pas prêt à payer plus ?
Il existe néanmoins une multitude de solutions qui peuvent s’appliquer une fois que l’on a vendangé ou sur des vignes existantes, ainsi que de nouvelles stratégies de plantation, avec la relocalisation des vignes sur des terrains différents ou l’introduction de nouveaux cépages.
Plus les pratiques d’adaptation ont lieu à la plantation, moins c’est coûteux pour le producteur. Plus les pratiques sont correctives, plus cela coutera cher. Il faut avoir une posture proactive ».
Comment voyez-vous l’évolution de la viticulture en Anjou dans les prochaines décennies ?
« À la place des vignerons, j’aurai également du mal à imaginer le climat de 2050. Le challenge est de planter une vigne qui peut s’adapter à n’importe quel scénario climatique. La problématique n’est pas que le changement, mais également la variabilité climatique. On n’est pas à l’abri des années fraîches, des années humides et des années caniculaires.
Notre système nécessite un changement brutal et une remise en question face à une viticulture angevine qui n’est pas résiliente. Il faut une flexibilité pour les changements de demain.
La viticulture est avant tout une filière façonnée par les vignerons, donc plus que les vignes, c’est à eux de surmonter ces enjeux. Il y a dix ans c’était une réalité qui n’était pas un enjeu au quotidien pour les vignerons alors qu’aujourd’hui, ils sont conscients de la notion d’adaptation et les intègrent dans leurs itinéraires techniques.
L’Afrique du Sud est un pays qui cultive énormément le chenin. Il y en a 18 000 hectares contre 9 000 dans la Loire. Ils ont intégré le chenin comme un cépage propre à leur territoire, alors qu’ils sont dans un pays beaucoup plus chaud et aride. On a l’avantage d’utiliser l’Afrique du Sud comme un scénario climatique à l’horizon 2100 et de s’inspirer de leurs pratiques viticoles et œnologues, quitte à les transposer en Anjou.
Les viticulteurs ont besoin d’exemples concrets avec des résultats qualitatifs et quantitatifs pour mieux se projeter et agir ».
Est-ce que l’année 2024 est une bonne année pour les vignerons ?
« Cela fait trois voire quatre années de suite que les vignerons sont amenés à s’adapter constamment. En 2021, on a connu une gelée printanière extrêmement difficile, puis un été très sensible aux maladies. En 2022, c’était l’opposé avec un millésime très chaud et très sec qui a inversé l’itinéraire technique de l’année précédente. En 2023, on a retrouvé les maladies de l’été, mais avec un mois de septembre chaud et sec, favorable aux cultures.
Cette année est catastrophique pour les maladies, c’est presque du jamais vu. 2024 n’est pas seulement compliquée pour les maladies, mais aussi à cause des parcelles très humides qui amènent des problématiques pour les tracteurs, ainsi que sur les jours disponibles agronomiquement pour l’effeuillage. C’est une année très compliquée car les prix des bouteilles ne changent pas d’année en année, alors qu’en 2024 les coûts de productions sont très élevés. Il n’y aura pas les rendements des productions tels qu’ils ont été prévus ».
Par Eline Vion.
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