À Angers, comment les architectes et urbanistes s’adaptent au changement climatique ?
Urbanisme

À Angers, comment les architectes et urbanistes s’adaptent au changement climatique ?

Face au changement climatique et à la hausse des températures, les architectes et les urbanistes sont en première ligne pour trouver des solutions. À Angers, des professionnels du secteur entendent adapter la ville et ses bâtiments.

Dans les Hauts-de-Saint-Aubin, le programme immobilier « Accords Boisés » fait la part belle au bois – © Archives Angers.Villactu.fr

Un rapport publié début juin par une soixantaine de chercheurs de renom dans la revue « Earth System Science Data » alerte sur l’accélération du changement climatique. « Le réchauffement causé par l’homme a augmenté à un rythme sans précédent dans les mesures instrumentales, atteignant 0,26°C au cours de la décennie 2014-2023 », s’inquiètent les chercheurs qui se sont appuyés sur les méthodes du Giec.

Pour la seule année 2023, le réchauffement attribuable à l’activité humaine a atteint 1,31 °C. « C’est une décennie critique. On pourrait s’attendre à ce qu’un réchauffement mondial de 1,5°C soit atteint ou dépassé dans les dix prochaines années », avertissent les scientifiques.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, le secteur du bâtiment représente 26 % des émissions nationales de gaz à effet de serre. Les architectes et les urbanistes ont ainsi un double défi à relever. Celui de diminuer l’impact des constructions dans l’émission de gaz à effet de serre, mais également d’adapter les bâtiments et les villes à la hausse des températures, avec des étés de plus en plus chauds.

Christopher Rutherford est à la tête de l’agence CRAAFT – © Angers.Villactu.fr

Après quinze ans passés en direction de bureau d’études et en agence d’urbanisme, Christopher Rutherford a créé l’agence CRAAFT en septembre 2022 à Angers. Basée dans les locaux de Weforge, l’entreprise accompagne les acteurs publics et privés pour répondre au défi de la sobriété foncière.

Un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon de 2050

« L’objectif ZAN (zéro artificialisation nette) évoqué depuis plusieurs années a marqué la profession et les collectivités, remarque Christopher Rutherford. C’est un changement assez profond, avec des lignes plus claires depuis la loi Climat et résilience ». En effet, la loi Climat et résilience du 22 août 2021 a posé un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon de 2050. Il faut dire qu’avec l’extension des villes, des zones commerciales et des infrastructures de transports, la France perd 20 000 à 30 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers par an, selon l’État.

« Il y a une vraie évolution des collectivités et aménageurs »

Sur la période 2021-2031, les collectivités doivent déjà réduire de moitié leur étalement par rapport à la décennie précédente. C’est avec cet objectif en tête que des collectivités de l’Ouest de la France font appel à l’agence CRAAFT. Pour Mayenne Communauté, l’agence a ainsi réalisé un état des lieux des friches industrielles et tertiaires. « La volonté est de renaturer et mélanger activités économiques et habitat. Ce sont des sujets qui n’auraient surement pas été sur la table sans la loi qui oblige désormais à prendre le taureau par les cornes », souligne Christopher Rutherford.

« Il y a une vraie évolution des collectivités et aménageurs. Si l’étalement urbain était déjà un sujet, les enjeux de transitions environnementales étaient un peu moins au cœur des préoccupations », poursuit-il.

Pour lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols, de nombreuses solutions ont d’ores et déjà été identifiées : « Il est possible d’utiliser les espaces sous utilisés, les terrains inoccupés dans les zones d’activités, les friches… La démarche Bimby permet de son côté de densifier les zones pavillonnaires des années 70 de manière modérée, en respectant leurs caractéristiques. Il faut retrouver de la densité modérée comme dans les villages », complète le patron de l’agence CRAAFT.

Bruno Huet - Stade Raymond-Kopa

L’architecte angevin Brunot Huet a notamment travaillé sur la rénovation du stade Raymond-Kopa – © Archives Angers.Villactu.fr

Architecte depuis près de trente ans, Bruno Huet est avec son associée Marion Negroni à la tête du studio d’architecte Sabh qui compte 25 collaborateurs. Halles Cœur de Maine, siège du Crédit Mutuel, stade Raymond-Kopa ou encore centre bourg d’Écouflant, l’agence Sabh a œuvré sur de nombreux projets à Angers. « Un bon projet d’architecture est forcément vertueux. L’analyse du contexte comme la prise en compte des éléments naturels sont déjà un préambule essentiel dans la manière d’opérer une conception bioclimatique du projet. Cela fait longtemps que la transition écologique est un sujet pour les architectes dans la manière de concevoir », estime Bruno Huet.

Tendre vers de nouveaux modes constructifs

Des projets, de plus en plus nombreux, intègrent des alternatives au béton traditionnel comme la terre crue, le bois, la paille ou encore le béton bas carbone, générant directement et indirectement, moins d’émissions de gaz à effet de serre. « Nous savons faire aujourd’hui des constructions décarbonées respectueuses de l’environnement. Le nouvel axe de travail et d’optimisation concerne le réemploi de matériaux », note Bruno Huet.

Avec la hausse des températures et la répétition des épisodes caniculaires, le confort d’été est également devenu un sujet majeur de préoccupation. « La gestion du confort d’été nous permet de réinterroger la notion de mixité des matériaux entre la recherche de légèreté et celle de l’inertie nécessaire. Notre responsabilité est également de tendre vers de nouveaux modes constructifs en appréciant par exemple les ressources locales pour tendre vers des bétons de site quand cela est possible ou de favoriser les filières locales disponibles selon le contexte du projet. En parallèle, il faut que les assureurs évoluent de concert dans la manière d’apprécier les nouveaux modes constructifs qui s’offrent à nous », avance Bruno Huet.

Des appartements sont construits en surélévation sur trois niveaux au sein du siège du Crédit Mutuel – © SABH

Selon l’architecte angevin, la rénovation du bâtiment du Crédit Mutuel incarne parfaitement les enjeux du futur. « Il s’agit de reconstruire la ville sur elle-même, avec la construction de logements par une surélévation en bois de trois étages. Cela permet également de conserver et de restaurer le patrimoine tout en créant des logements sans consommer de surface au sol ».

« Aujourd’hui, les politiques et les différents acteurs de la construction convergent vers cette volonté d’avoir de constructions plus vertueuses. Il s’agit désormais d’être dans le concret et de parfaitement doser l’équation écologique pour la rendre possible économiquement dans une approche fondée sur le long terme en termes de sobriété, de pérennité et de coûts d’exploitation. En tant qu’architecte, c’est à nous de mesurer les moyens donnés par nos maitres d’ouvrages pour aboutir à une construction vertueuse. Notre rôle est de faire en sorte que ce ne soit pas juste de la communication, mais bel et bien un travail de fond responsable », complète Brunot Huet.

Johanne Guichard Floc’h est à la tête de l’agence d’architecture et d’urbanisme Johanne San – © Angers.Villactu.fr

Créée en 2019 à Angers par Johanne Guichard Floc’h, l’agence Johanne San a la double casquette : urbaniste et architecte. À Angers, Johanne San est notamment en charge de la zone d’aménagement concerté (ZAC) des Capucins, un projet sorti de terre en 2005 et repris en 2015. « La ZAC des Capucins était très critiquée au début. Il a fallu inventer une autre manière de penser la ville. Il y a une certaine densité dans les Hauts-de-Saint-Aubin avec une proximité des services. La ville du quart d’heure, elle est là-bas. On y retrouve tous les services de ce qu’offre une ville dense », explique Johanne Guichard Floc’h.

Dans ce quartier, situé au nord d’Angers, les nouveaux bâtiments utilisent de plus en plus des matériaux biosourcés, avec une place importante accordée au végétal, notamment en cœur d’îlot.

Les cœurs d’îlots sont davantage végétalités – © Angers.Villactu.fr

« Le bilan énergétique ne doit pas prendre en compte que le chauffage et l’eau chaude. Aujourd’hui, nous intégrons davantage les usages, en regardant notamment où travaillent les gens, où les enfants vont à l’école, pour optimiser les déplacements. Chaque canicule rappelle combien les changements sont nécessaires », ajoute Johanne Guichard Floc’h.

De plus en plus de programmes immobiliers utilisent du bois – © Angers.Villactu.fr

« Le travail de l’urbaniste consiste à se poser les bonnes questions en amont des projets. Sur le site des Fours à Chaux, nous commençons par dessiner la trame verte avant de penser aux constructions. Il faut préparer la ville au changement climatique en créant des îlots de fraîcheur et remettre de la biodiversité. Le végétal que nous mettons doit également être différent et pouvoir se développer sans arrosage et entretien », développe Johanne Guichard Floc’h.

Christopher Rutherford, Bruno Huet, et Johanne Guichard Floc’h, s’accordent également sur l’importance d’imaginer des bâtiments qui soient réversibles. Des programmes récents à Angers ont ainsi été pensés pour transformer un parking en logement, une résidence étudiante en hôtel, ou encore des bureaux en habitat.

Par Sylvain Réault.